Bōsōzoku, le terme, en plus d'être vraisemblablement inconnu de la plupart des lecteurs de cet article... est particulièrement compliqué à prononcer. Mais entraînez-vous plutôt à articuler chaque syllabe car, sous peu, vous ne pourrez plus jurer que par ce terme.
Le terme Bōsōzoku renvoie à une étymologie compliquée - on s'en serait douté - et a une signification difficile à traduire en français. Bōsōzoku peut alors signifier «Tribu hors de contrôle», avec une interprétation particulière du terme «hors de contrôle» puisque celui-ci s'attribue au sens mécanique du terme. On pourrait par conséquent appeler ça une «Tribu du dérapage». Toujours est-il que ce langage fleuri renvoie à un phénomène de mode qui a pas mal secoué le Japon entre les années 1980 et 2000. Un mouvement qui, pour la plupart, ne vous dira rien. Pas à moins que vous ayez multiplié quelques saines lectures en matière de manga.
Un Bōsōzoku était alors un délinquant bien spécifique ; un motard avec un code de conduite assez flamboyant et unique. On disait d'eux qu'ils étaient des aspirants Yakuzas. Avec leurs bolides bruyants, leurs combinaisons pour marquer l'appartenance à un gang, leurs bannières fièrement brandies en arpentant les rues et leurs coupes de cheveux extravagantes, ces criminels juvéniles ont marqué leur époque ; celle des gangs de motards qui réunissaient les jeunes désœuvrés du Japon. Cette époque, toutefois, connut une fin avec les techniques policières anti-gang dont les effets furent particulièrement efficaces à l'aune des années 2000.
Ces Bōsōzokus n'avaient beau être que des délinquants, ils avaient un charme typique se rapportant à leurs codes vestimentaires. C'est toute une sous-culture qui a disparu avec eux. Une sous-culture dont on conserve néanmoins des bribes dans de nombreux mangas.
Durant les années 1990, dès lors où il était question de mettre en avant des collégiens et des lycéens dans un Shônen, ceux-ci ressemblaient alors aux jeunes de leur époque. Aussi, il n'était pas rare de trouver parmi eux des personnages avec des dégaines de petits truands comme il en existait à cette époque-là dans les écoles.
Toujours prompts à la baston, ces personnages avaient un tempérament survolté et impulsif qui s'accordait alors à celui des Bōsōzokus de l'époque. On retrouvait alors pêle-mêle des personnages comme Yusuke et Kuwabara de Yu Yu Hakushô, Sakuragi Hanamichi et ses amis dans Slam Dunk, entre autres personnages qui n'avaient que le look et l'attitude du Bōsōzoku sans adopter son train de vie.
Le Bōsōzoku, du fait de son tempérament agressif et hostile, le prédisposait à occuper un rôle d'antagoniste ou d'anti-héros dans certains mangas. Au même titre que les bullies dans les fictions américaines, les Bōsōzokus faisaient office de petits caïds locaux. C'est à ce titre que Bokutō No Ryu, dans Shaman King, occupait un rôle de voyou ridicule avant de rejoindre le rang des protagonistes.
Si vous avez lu des mangas de cette période, vous verrez parfois des loubards avec des coupes de cheveux semblables à une banane, parsemer ici et là les cases des œuvres contemporaines de cette période. Une période révolue qui suscite encore quelques nostalgies.
Le phénomène Bōsōzoku au Japon était tel que même certains mangas étaient dédiés spécifiquement à leurs aventures. On les appelait mangas «Furyô» et ceux-ci étaient les héritiers d'une certaine tradition artistique dans le milieu du Shônen.
Car en effet, encore jusqu'au début des années 1970, les personnages principaux des shônens étaient tous réputés pour être gentillets et purs au point d'être aujourd'hui désuets. C'en était même ridicule. Des figures comme celles de Devilman contribuèrent à rompre cette tendance trop proprette en mettant du «sale» dans le monde du shônen. Ashita no Joe, publié entre 1968 et 1973, révolutionna l'époque en mettant en scène un jeune délinquant. C'est lui qui ouvra les portes de ce qui fut plus tard le manga furyô, centré autour de voyous pour lesquels on se prenait d'affection.
Dans ce registre particulier, deux mangakas s'illustrèrent comme des auteurs de furyô par excellence ; il s'agissait de Masanori Morita et Tôru Fujisawa.
Le premier fut l'auteur des impressionnants Racaille Blues et Rookies. Avec des dessins bruts et somptueux ainsi que des graphismes détaillés, l'auteur mettait en avant la vie de jeunes délinquants. Dans Racaille Blues, ceux-ci partageaient leur vie entre le club de boxe et la baston de rue entre étudiants. Dans Rookies, un professeur cherchait à canaliser la colère des Bōsōzokus de sa classe en coachant leur équipe de Baseball. La violence et l'humour étaient au rendez-vous, ce qui inspira alors par la suite Tôru Fujisawa.
Celui-ci dessinera alors l'excellent Shônan Junaï Gumi connu chez nous sous le titre de Young GTO. On y suivait les aventures de l'Onibaku Conbi, un duo de Bōsōzokus redoutables et dont la seule obsession était de se débarrasser de leur pucelage. Entre des gags hilarants et graveleux et une gravité de ton induite par les rivalités entre gangs, le manga fut largement acclamé en son temps. Assez pour donner une suite plus connue encore : GTO ou Great Teacher Onizuka, un manga où Onizuka, passé du statut de voyou à celui de prof loubard, discipline des élèves sournois avec des méthodes pédagogiques pour le moins expérimentales... Là aussi, ça bastonne sec.
Ce manga alors, s'appréciait comme le chant du cygne d'une période qui s'achevait à l'aube des années 2000.
Même si les Bōsōzokus n'arpentent plus les rues de Tokyo, ceux-ci ont malgré tout laissé un manque. Derrière le bruit des moteurs de grosses cylindrées et les vapeurs d'essence, il y avait une sous-culture au charme fou qui laissa son empreinte dans des mangas comptant parfois parmi les plus connus au monde. Les Bōsōzokus suscitent la nostalgie. Assez pour justifier un retour dans le monde du manga.
Tokyo Revengers, sorti en 2017, nous narre les péripéties de Takemichi Hanagaki, un loubard de notre époque qui, renvoyé 12 ans en arrière, renoue avec la période bénie des Bōsōzokus. Le succès du manga, consacré par un anime lui aussi est très apprécié, atteste de la nostalgie pour le manga furyô. Une nostalgie qui pourrait inciter une éventuelle mode. Un renouveau pourquoi pas.
Car après tout, avec des bécanes, des filles, de la baston et des amitiés viriles, tous les ingrédients d'un pur shônen sont ici réunis. Il ne reste alors plus qu'à mélanger et malaxer l'intrigue en conséquence. Si les lecteurs sont demandeurs, il n'y a pas de raison de ne pas impulser un nouvel élan au phénomène Bōsōzoku dans le manga. Vous-même, dès lors où vous aurez fait connaissance avec ce dernier, implorerez son retour à cor et à cri.
Que ce soit grâce à l'humour, les enjeux des bastons ou bien les émotions fortes et les drames, le manga furyô, en l'état, ne pourra pas vous laisser insensible.
A propos de l'auteur Sari